Cela vous arrive-t-il de vous acharner ?
Quand un passage de l’œuvre que vous travaillez en ce moment accroche, est-ce que vous essayez encore et encore de le faire passer ?
Ou vous passez à autre chose quand vous sentez que cela commence à vous saouler ?
Pour ma part, je suis du genre à ne pas facilement “passer à autre chose”.
D’ailleurs, je ne pourrais pas vous dire combien de fois je me suis entêté à retenter encore et encore de réussir un geste…
Mais est-ce vraiment une bonne idée de s’acharner quand un enchaînement de notes ne veut pas passer ?
Rien lâcher permet-il réellement de progresser plus vite ?
Voyons comment les neurosciences peuvent nous éclairer à ce sujet…
Ne pas s'acharner pour progresser plus vite
Les enfants et les adultes apprennent différemment
Une équipe de neuroscientifiques et de psychologues pilotée par Amy Finn, du MIT Mc Govern for Brain Research, a tenté de comprendre un phénomène curieux dans l’apprentissage du langage qui peut nous éclairer dans notre manière d’appendre la musique.
Lorsqu’un adulte apprend une nouvelle langue, il assimile plus facilement qu’un enfant une grande quantité de vocabulaire.
En revanche, un adulte rencontre des difficultés pour comprendre d’autres aspects du langage.
Les adultes ont du mal à intégrer certaines subtilités d'une nouvelle langue
Un adulte a du mal à saisir certaines subtilités d’une nouvelle langue qu’il apprend.
Il a notamment des difficultés avec les règles de construction des mots qu’on appelle règles morphosyntaxiques.
Pas de panique !
Le mot morphosyntaxique fait peur mais il fait référence à quelque chose de simple.
Il fait référence aux règles de construction des mots dans une langue.
C’est parce que ces règles sont différentes que les mots de chaque langue sonnent différemment.
Et oui ! Les mots ne sont pas construits selon les mêmes règles alors ils ne créent pas la même musique quand on les assemble.
Par ailleurs, ces règles sont apprises de manière implicite.
Vous ne pourriez pas m’expliquer ces règles mais vous savez tout de suite que les mots « einstellung »ou »ragazza » ne sonnent pas français.
Les enfants intègrent mieux ces subtilités que les adultes
Je vous parle de cette expérience car l’apprentissage de ces règles morphosyntaxiques fait partie de la même catégorie d’apprentissage que l’apprentissage de la guitare ou du piano.
En neurosciences, on parle d’apprentissages procéduraux.
Contrairement aux adultes, les enfants perçoivent et intègrent très aisément les finesses morphosyntaxiques qui posent bien des problèmes à leurs ainés.
Les chercheurs ont construit une expérience afin de comprendre pourquoi les « grandes personnes » ont plus de mal à intégrer ces règles malgré le fait qu’elles s’investissent davantage dans l’apprentissage.
Une expérience simple
Pour tester une de leurs hypothèses, les scientifiques ont crée 3 catégories morphosyntaxiques.
La catégorie A, la catégorie B, et la catégorie C.
Ces catégories définissent l’ordre dans lequel les consonnes et les voyelles sont placées dans chaque mot.
Deux groupes de personnes ont été testés avec 9 mots, inventés par les chercheurs, qui appartiennent tous à une des 3 catégories.
Chaque groupe a écouté pendant 10 minutes des séquences de 3 mots toujours dans l’ordre A-B-C.
En premier, un mot de la catégorie A, puis un mot de la catégorie B et enfin un mot de la catégorie C.
Les chercheurs ont demandé aux adultes du groupe n°1 d’écouter les mots sans les sur-analyser.
Ils pouvaient même faire un puzzle pendant l’écoute s’ils le souhaitaient.
Le groupe n°2 avait comme consigne d’être attentif aux mots qu’il entendait pour essayer de les identifier.
Suite à cela, le groupe n°2, qui avait pour consigne d’analyser, était un tout petit peu meilleur dans un exercice où il devait détecter les séquences de mots corrects, A-B-C et les séquences fausses (comme par exemple B-A-C).
Le groupe distrait a tout de même progressé plus vite !
Et oui !
Chaque groupe a fini l’expérience par un test final dans lequel un mot inconnu, qui respectait les règles morphosyntaxiques inventées par les chercheurs, avait été glissé dans les séquences de trois mots.
Lorsqu’ils devaient dire si le nouveau mot était au bon endroit dans la séquence, les participants du groupe n°2, « très attentifs », ont obtenu des résultats bien plus mauvais que leurs collègues du groupe n°1 « écoute passive ».
Ceux qui ont fait le plus d’efforts ont le moins appris !
L’hypothèse testée par les chercheurs a ainsi été vérifiée.
Conseils pratiques pour progresser plus vite en musique
Vous l’avez compris, j’ai cité cette expérience non pas parce que la musique est un langage…
Mais parce que, tout comme certains aspects du langage, l’apprentissage d’un instrument de musique est « procédural ».
Et les auteurs de cette étude nommée « Essayer, essayer encore ? Les études disent non ! » ont démontré que la sur-analyse ralentit l’apprentissage des compétences procédurales.
En fait, des efforts d’analyse conscients, handicapent et court-circuitent l’acquisition de ces compétences.
Pour les intégrer, le cerveau emprunte un chemin indirect sur lequel nous n’avons pas la main.
Il vaut mieux ne pas trop s’en mêler…
Retours d'expériences
Il y a une semaine, j’ai eu le plaisir de parler de cette étude avec Marie-Cécile Baritou, professeure de piano et auteure du blog « Apprendre à jouer du piano ».
Cette femme pleine d’énergie est investie dans une pédagogie moderne qui place le plaisir et la qualité de la relation au cœur du processus d’apprentissage.
Cette approche est encore trop peu pratiquée de nos jours, mais, à mes yeux, elle représente l’avenir de l’apprentissage.
Sans plaisir, impossible de progresser vite en musique !
A propos de l’acharnement, Marie-Cécile m’a confié que parfois certains élèves bossent comme des fous sur un morceau pendant une semaine et arrivent en cours en jouant moins bien que la semaine précédente !
Oui, ils régressent malgré leur travail !
Dans ce genre de situation, Marie-Cécile donne à l’élève un autre morceau plus simple à jouer avec la consigne de ne pas retravailler le morceau plus difficile sur lequel il s’est acharné.
Que se passe-t-il selon vous une semaine après quand l’élève revient en cours ?
IL A PROGRESSÉ !
Et oui ! Ce même élève a progressé et maîtrise mieux le morceau compliqué alors qu’il a arrêté de le travailler. Encore une preuve que travailler plus ne rime pas toujours avec progresser plus !
Conseils pratiques
Ne vous acharnez pas ou vous le regretterez
Quand vous bloquez sur un apprentissage, arrêtez-vous et faites une pause. Ne vous acharnez pas !
Cela ne sert à rien d’atteindre le stade ou l’on sature totalement et où l’on pourrait tout envoyer promener.
Sinon, vous perdrez petit à petit le plaisir de vous entraîner. Car votre cerveau va associer les émotions négatives à l’apprentissage et vous finirez par haïr cela !
Mieux vaut ne rien faire que de travailler en ressentant des émotions négatives.
Car les émotions négatives sabotent et empêchent de vraiment progresser et la volonté ne peut rien contre les ravages de la frustration.
J’ai répété cette erreur par le passé et croyez-moi je l’ai regretté !
C’est trop peu de résultats et tellement de souffrance…
Pour s’exercer efficacement et devenir meilleur, il est indispensable d’être dans un bon état d’esprit.
Laissez votre mode diffus travailler à votre place
J’ai écrit récemment un article sur les modes focalisés et défocalisés de l’attention.
Si vous l’avez lu, vous avez de suite fait le lien avec les résultats de l’expérience sur le langage.
En lâchant prise, on active le mode diffus et le travail inconscient de notre cerveau prend le relais.
Si vous ne l’avez pas encore lu, c’est le moment !
Vous découvrirez qu’il est possible de progresser en se reposant…
Pour lire cet article, cliquez sur ce lien : « Peut-on apprendre la musique en se reposant ? »
Alternez les apprentissages difficiles et moins difficiles
Pour profiter du mode diffus et optimiser votre temps de travail musical, pensez à alterner vos apprentissages.
En cas de blocages, une petite pause de 5 minutes fait le plus grand bien et ensuite, changement de programme !
Changer d’exercice et repartir sur quelque chose d’un peu plus facile est une bonne stratégie.
D’une manière générale, je conseille d’alterner entre des exercices difficiles et moins difficiles !
Ça fait du bien au moral et cela permet au cerveau de bosser tout seul dans son coin.
Et pour optimiser au maximum l’efficacité de vos séances de travail et progresser plus vite, vous pouvez appliquer la technique de « l’apprentissage entrelacé ».
Avec confiance et motivation 🎶😏
Roman Buchta
Merci pour ce partage. Alterner entre un exercice difficile et un exercice facile est efficace. Et jouer de la musique qu’on aime aussi. Le problème aujourd’hui c’est que la majorité des chansons qui passent en radio sont basées sur 4 accords… Pas toujours évident de trouver des chansons plus poussées et sympa à jouer 🙂
Hello Olivier,
Merci de ton retour.
Effectivement, la radio ne diffuse pas toujours des chansons très élaborées.
Mais beaucoup de musiques d’hier, plus riches sur le plan mélodiques, sont encore d’actualités, n’est-ce pas ?
Excellente continuation 😉