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Pourquoi nos progrès semblent disparaître du jour au lendemain ?

Cette question vous interpelle ? Je vous comprends.

Parfois, on bute sur un passage compliqué. Quand ça arrive, on le décompose et on le travaille au ralenti. Et puis, au bout de quelques minutes, on parvient à traverser l’extrait difficile d’une façon satisfaisante. Jusque là, tout est ok…

Le lendemain, on retourne dans la pièce à musique. On rejoue le même morceau. On arrive au passage qui nous donnait du fil à retordre… Et là, on se replante royalement ! On se rate à l’endroit précis que l’on avait pourtant bossé et amélioré. Oh ! C’est quoi le problème ? Pourquoi les progrès disparaissent ?!

Je me rappelle de tellement de fois où je me suis exercé encore et encore sur un petit aspect technique. Avec le travail, cela devenait plus fluide, j’y arrivais mieux. Pourtant, quand je m’exerçais à nouveau le lendemain…j’avais l’impression de ne jamais avoir travaillé le point en question. J’étais à chaque fois dégoûté ;(

Comment cela se fait-il ? Est-ce que mon système nerveux s’est mis soudainement en grève ? Suis-je nul ? 

Non, rien de tout cela. De nombreuses études démontrent qu’il s’agit plutôt d’un problème de stratégie d’apprentissage. Pour faire simple, la raison se cache probablement dans la méthode de travail et la solution dans l’apprentissage entrelacé…

Apprentissage en bloc ​Vs apprentissage entrelacé :

Je vous ai rapidement parlé de l’apprentissage entrelacé dans mon article sur la création d’une méthode de travail efficace. Cette stratégie s’oppose à la stratégie enseignée à l’école depuis la nuit des temps et appelée : apprentissage en bloc.

Ici, je vous transcris la description de ces 2 stratégies.

Pour ce faire nous allons utiliser les lettres A, B et C.
Chaque lettre représente un point précis que l’on souhaite travailler. Si on prend l’exemple de la guitare : 

  • A est le changement d’accord « LA-SOL ».
  • B est la séquence à la main droite « Bas-bas-haut-haut-bas ».
  • Et C est l’arpège « pouce-index-majeur-index-majeur-index » ou « p-i-m-i-m-i ».

L'apprentissage en bloc

L’apprentissage en bloc est la stratégie d’apprentissage la plus commune où l’on travaille une seule fois chaque aspect pendant un temps plus ou moins long. ​

Cette approche plus classique ​suit le modèle : AAAA / BBBB / CCCC​
(J’écris plusieurs fois la lettre de suite « AAAA » pour signaler que l’on s’exerce longtemps sur ce même passage).

​Ici, chaque point est travaillé une fois pendant un temps conséquent. Disons 15 minutes pour un travail musical.

L'apprentissage entrelacé

L’apprentissage entrelacé consiste à travailler les aspects ​A/B/C en les enchaînant rapidement les uns à la suite des autres plusieurs fois de suite.

​L’idée est de s’exercer sur chaque aspect pendant une micro-séquence de quelques minutes seulement.  Si je fais trois séries complètes, ​ma séance de travail suivra le modèle : A/B/C A/B/C A/B/C

​​Ici, chaque point est travaillé pendant un temps plus court, plusieurs fois pendant la séance. Disons 3 minutes.

Quelle ​stratégie d'apprentissage est la plus efficace ?

Vous vous en doutez, la méthode traditionnelle n’est pas la plus efficace. 

​Comme l’explique ​cet article de The Scientific Americanl’apprentissage entrelacé se révèle étonnement performant aussi bien pour apprendre des concepts que pour intégrer des compétences motrices.

L'apprentissage entrelacé permet d'apprendre plus vite

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Dans une étude menée en 2008 au Canada, des étudiants en médecine apprenaient à « lire » des électrocardiogrammes (ECG) et à diagnostiquer diverses pathologies cardiaques.

Les étudiants du premier groupe apprenaient à reconnaître telle ou telle pathologie en observant de multiples exemples, d’une seule et unique pathologie, par « bloc » de travail (apprentissage en bloc).

Les étudiants du second groupe apprenaient la même compétence mais avec un mélange de multiples pathologies mixées dans chaque « bloc » de travail (apprentissage entrelacé).

Lors du test d’évaluation finale, les étudiants du groupe « apprentissage entrelacé » ont fait preuve d’une plus grand acuité dans leur lecture des ECG. lls ont donc acquis un meilleur niveau de compétences pour un temps de découverte et d’entraînement égal.

Cette étude démontre que l’apprentissage entrelacé permet d’apprendre et de développer des compétences plus rapidement que la méthode traditionnelle (apprentissage en bloc).

L'apprentissage entrelacé stabilise nos progrès et les rend plus évolutifs

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L'apprentissage entrelacé dans le domaine sportif

Les recherches sur l’apprentissage entrelacé ont d’abord été menées dans l’univers du sport.

Une des premières études sur le sujet, datant de 1986, évaluait l’impact de l’entrelacement sur l’apprentissage de 3 services différents au badminton.

30 femmes divisées en 3 groupes se sont entraînées 3 jours par semaine pendant 3 semaines de suite.

Les groupes se différenciaient par un niveau d’interférence (comprenez entrelacement) différent pendant leur entraînement. Groupe 1 « interférences faibles », groupe 2 « interférences moyennes » et groupe 3 « interférences fortes ». En d’autres termes, groupe 1 « apprentissage en bloc », groupe 2 « entrelacement moyen », et groupe 3 « fort entrelacement ».

Le lendemain de la fin des 3 semaines d’entraînement, ces sportives ont été testées sur l’acquisition, la rétention et le transfert des compétences apprises.

Quels sont les résultats ?

Le groupe « fortes interférences » a bien mieux intégré les façons d’effectuer ces différents services que le groupe « faibles interférences ».

Plus intéressant encore, le groupe « fortes interférences » a démontré une bien meilleure capacité à manipuler cette compétence dans des contextes différents. Par exemple, les joueuses parvenaient mieux à effectuer ces services du côté opposé du court, etc.

D’autres études en base-ball et en basket-ball ont obtenu des résultats identiques à l’étude précédente. Chacune démontrait qu’un fort entrelacement dans l’apprentissage évite que nos progrès disparaissent en les rendant plus solides et plus évolutifs !

​Attention ! L'apprentissage entrelacé ​ne nous donne pas la sensation de bien apprendre

L'apprentissage entrelacé procure la sensation de mal apprendre

Et oui, il y a un « mais » ! L’apprentissage entrelacé nous donne la sensation désagréable de « mal apprendre » !

En 2008, les chercheurs Kornell et Bjork ont demandé à 120 étudiants d’observer des tableaux provenant de 12 artistes peintres différents.

La moitié des étudiants apprenaient par bloc. On leur présentait 6 tableaux d’un artiste. Puis 6 tableaux d’un autre peintre, etc… L’autre moitié d’étudiants voyaient des tableaux de tous les maîtres mélangés dans chaque série de présentation.

Suite à cela, les étudiants des deux groupes passaient un test dans lequel ils devaient associer les peintures au peintre qui en était l’auteur.

Lors de ce test final, les étudiants du groupe apprentissage entrelacé parvenaient beaucoup mieux à distinguer les différents artistes et à associer chaque peinture avec le bon peintre.

Mais en interrogeant les étudiants sur la qualité de leur apprentissage, un fait intéressant a été mis en évidence. Les étudiants qui ont appris en bloc avaient la sensation d’avoir mieux appris que ceux de l’autre groupe alors que leurs résultats au test prouvaient le contraire !

L'apprentissage entrelacé rend les choses plus difficiles

Entrelacer ne donne pas le luxe de sentir que la maîtrise se développe
Il faut donc se méfier de nos sensations !

Avoir la sensation d’avoir bien appris n’est pas gage d’un apprentissage de qualité.

L’apprentissage entrelacé nous force à enchaîner les matériaux travaillés (matériel A, matériel B, etc…) avant d’avoir la sensation plaisante de commencer à les maîtriser ! Rappelez-vous l’illusion de progrès que j’ai eu avec le changement d’accord « LA-SOL » dont je parle dans l’intro…

On se retrouve tout le temps « au début de l’apprentissage », quand les choses ne « glissent » pas encore… et on n’atteint pas nécessairement le stade du « Ah ça y est, j’y arrive mieux ! ». D’où l’erreur d’appréciation des étudiants sur l’efficacité de leur apprentissage dans l’étude sur la peinture.

Donc, même si nous n’avons pas la sensation de progresser quand nous entrelaçons, rappelez-vous que c’est l’un des « pièges » de cette stratégie.

Patientons et laissons un peu de temps à notre cerveau pour solidifier les réseaux neuronaux concernés, avant d’analyser nos progrès ! 😏

Entrelacer ​demande un investissement plus intense

Et oui ! Entrelacer rend l’apprentissage plus coûteux en termes d’énergie, de concentration, etc.

Cette difficulté accrue est, selon les chercheurs, une des origines de l’efficacité supérieure de cette méthode. Le cerveau bosse plus dur donc il produit plus de résultats.

Plus de pompes = plus de biceps !

Conseils pratiques

Voici quelques conseils pour vous permettre de bien prendre en main cette formidable stratégie d’apprentissage :

Entrelacer des choses qui ont un rapport entre elles

Cela va de soit, mais c’est mieux de le rappeler !

Si vous travaillez les gammes de Fa Majeur et que vous entrelacer cela avec la mémorisation de la recette de la tarte au melon et la pratique d’un coup de pied de karaté, je ne peux plus rien pour vous !

Plus sérieusement, l’entrelacement améliore les performances d’apprentissage aussi parce qu’il nous confronte à différents matériaux de nature similaires.

Dans l’étude sur la peinture, les étudiants du groupe apprentissage entrelacé ont pu davantage comparer les points communs, les différences, et les spécificités des styles de chaque artiste.

Idem dans les études sur le sport. L’enchaînement des différentes techniques amène les joueuses de badminton à mieux intégrer les points communs et les différences de chaque service.

Trouver votre équilibre entre nombre de séries, aspects travaillés et durée d'exercice de chaque aspect

L’idée est de trouver le cocktail qui vous convient. 

Travaillez chaque point sans être pressé par le temps mais sans trop vous attarder non plus. Le cerveau doit à chaque fois faire l’effort de se replonger corps et âme dans l’élément que nous recommençons à travailler. Une durée de 2 à 4 minutes par aspect travaillé me paraît adaptée.

Par ailleurs, travaillez un nombre d’aspects raisonnable par séance de travail. 3 ou 4 aspects me semble une bonne moyenne pour garantir que vous aurez le temps d’entrelacer plusieurs fois l’ensemble des éléments dans une séance de travail.

Enfin, je conseille de faire au moins 3 séries complètes par séance de travail selon le modèle : A/B/C A/B/C A/B/C. On pourrait presque dire que plus vous entrelacez, mieux c’est !

Faites des pauses entre chaque série et/ou entre chaque aspect travaillé

« La pause est au travail ce que l’inspiration est à l’expiration »

Le cerveau ancre et consolide nos apprentissages pendant le sommeil.

Nous savons également que lorsque nous apprenons des connaissances théoriques, les pauses que nous faisons pendant l’apprentissage permettent à l’hippocampe (structure clé dans les processus de mémorisation) de transférer les connaissances dans les zones corticales appropriées.

Sans pause, nous empêchons l’hippocampe de faire son travail ô combien important !

Je pense que l’on peut supposer que le même genre de phénomène s’applique à l’apprentissage de compétences motrices et gestuelles.

Donc, des pauses régulières, au moins entre chaque série, permettront au cerveau de mieux intégrer les fruits de notre entraînement.

Sinon, on risque d’avoir cette sensation de ne plus rien intégrer. Vous savez ? Comme ces fois ou l’on a l’esprit un peu échauffé et où rien ne semble vouloir vraiment rentrer…

Faites des tests et notez vos résultats

Tout est dit !

Avec toutes les informations diverses et variées qui traversent notre esprit chaque jour, notre cerveau est mis à rude épreuve. Parfois, on n’arrive pas à se souvenir de ce qu’on a mangé le midi de la veille.

Un carnet mémorise à notre place et désencombre notre cerveau. C’est de la haute technologie ! 😏 Cet outil est indispensable pour affiner notre méthode de travail. Il garde un suivi de nos essais et nous permet d’évaluer avec précision l’efficacité de nos tests.

En plus, il retrace l’historique de nos expériences sur une longue période. Utile pour se rappeler de la stratégie utilisée pour tel morceau il y a 1 an et demi…

Ainsi, nous éprouvons l’efficacité de nos stratégies et grâce à cela, notre confiance dans la méthode que nous employons grandit. Et plus nous sommes confiants, plus nous sommes sereins et motivés. Comme l’a dit Yannick Noah :

                          « La joie précède la victoire ! 

Conclusion

Après avoir travaillé un moment, nous arrivons enfin à bien enchaîner « ce » passage complexe.
Mais le lendemain, quand nous reprenons notre instrument, nous avons l’impression que nos progrès durement acquis ont disparu dans la nuit…

Grâce aux neurosciences, nous comprenons maintenant que pour qu’un apprentissage s’incruste mieux dans le cerveau, il faut l’entrelacer avec d’autres apprentissages.

Si vous commencez à utiliser l’entrelacement, vous verrez que vos progrès vont se stabiliser beaucoup plus vite ! En fait, la vitesse à laquelle vous pensiez pouvoir apprendre des nouveaux gestes, à la guitare ou au piano, n’est pas votre vitesse maximum d’apprentissage.

Ce n’est pas évident d’entrelacer au début car il faut réfléchir à ce que l’on veut travailler, se faire un petit programme de travail et penser à changer régulièrement la séquence de gestes que l’on travaille. 

Mais le jeu en vaut la chandelle !
Toutes les études de neurosciences le prouvent. Notre cerveau, peut apprendre plus vite !

Alors, avant de prendre en main votre instrument tout à l’heure, réfléchissez juste aux 3 ou 4 éléments que vous allez travailler et pensez à les faire tourner au bout de quelques minutes !

Avec confiance et motivation 🎶😏

Roman Buchta

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  • Bonjour Roman, bravo pour cet article très intéressant! Je suis prof de piano et je compile ce qui m’interpelle sur mon blog, puis-je partager votre article? https://coursdepianobourges.blogspot.com/
    Merci par avance, musicalement!

    • Roman dit :

      Bonjour Marie-Lise,
      Merci pour votre retour 😉
      Oui vous pouvez faire partager cet article depuis votre site.
      Mes articles sont écrits pour être utiles au plus grand nombre !
      Par ailleurs, je vous serai reconnaissant de mentionner son origine
      et de faire un lien depuis votre blog !
      Excellente continuation,
      Musicalement,
      Roman

  • Jeanson dit :

    Article Génial, Merci.
    Quand on veut évoluer, on a tendance à travailler à sa façon, à naviguer entre ces 2 méthodes et sembler s’y perdre… merci pour cette explication. Au Plaisir de lire d’autres de vos articles.
    Philippe

  • Betremieux dit :

    Bonjour. Passionnant ! Je pensais dévier d’un travail sérieux et rigoureux mais ennuyeux (apprentissage en bloc) quand il m’arrivait (souvent) de travailler en apprentissage entrelacé, dont je n’avais pas notion jusqu’à aujourd’hui…!. Je vais mettre un lien sur mon site et en parler autour de moi ( collègues, élèves).

  • Gonel dit :

    Merci pour ces explications très utiles !

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