Corps en petits points récepteurs proprioception

La proprioception : le précieux 6ème sens du musicien

Récemment, il m’est arrivé une drôle d’expérience.

Je travaillais un geste particulièrement délicat sur mon instrument.
Le genre de geste qui vous demande un grand déplacement sur l’instrument et un « arrivage » dans une espèce de position de grand écart entre l’index et l’auriculaire.

Le tout, bien sûr, tout en souplesse. 😉

Du gâteau, n’est-ce pas ?

Je plaisante.

Ou alors un gâteau vraiment dur, vraiment sec et vraiment peu goûteux… 😉

Nous avons déjà tous testé la profondeur de notre patience face à ce type de gestes retors.

Cette fois-ci, je me suis entraîné à réaliser ce geste sans regarder mes mains sur le manche de la guitare.

Je commençais à réussir à atterrir en grand écart au bon endroit, dans le tempo,  sans être crispé jusqu’à la mâchoire et je me suis dit :

« Regarde quand-même où tu poses les mains. Le jour J, cela pourra t’offrir une sécurité supplémentaire. »

Avouez-le !  Vous ne rejetteriez pas ce genre de garantie comme un enfant qui repousse une assiette d’épinards avec son avant-bras.

Et là, rien n’a fonctionné comme prévu.

En effet, lorsque j’ai commencé à ajouter le sens de la vue, tout est devenu chaotique. 

Je ne parvenais plus à réaliser mon atterrissage en grand écart.

Mon contrôle visuel ne m’aidait absolument pas… 

Non ! Il m’handicapait.
J’avais appris ce mouvement grâce à ce que les spécialistes appellent « notre 6ème sens ».

À présent, la collaboration avec le sens de la vue devenait compliquée. 

Mais comment fonctionne ce 6ème sens que les scientifiques appellent la proprioception ?

À quoi la proprioception nous sert-elle dans l’apprentissage de la musique ?

Certains instruments sont-ils plus exigeants que d’autres en matière de proprioception ?

Et que s’est-il passé dans le cas de mon apprentissage ?

Voilà ce que nous allons étudier dans cet article sur la proprioception.

C’est parti !

La proprioception, qu'est-ce que c'est ?

La proprioception : un 6ème sens méconnu

Lorsque vous parlez de 6ème sens, certaines personnes vont penser que vous faites référence à l’intuition.

Et pour cause. Beaucoup d’entre nous ne savent pas que nous avons réellement un 6ème sens.

Comme l’explique Fabrice Sarlegna, chercheur au CNRS et à l’Institut des Sciences du Mouvement de l’Université Aix-Marseille :

 » La proprioception est moins connue car c’est un sens plus dur à imaginer »

En effet, pour comprendre à quoi sert un sens, vous pouvez essayer de faire semblant d’en être privé pendant quelques instants.

Vous pouvez par exemple vous bander les yeux pour essayer d’imaginer ce que cela fait d’être aveugle.

Vous pouvez vous boucher les oreilles pour tenter de vous mettre à la place d’une personne atteinte de surdité.

En revanche, il est strictement impossible d’éteindre vos capteurs proprioceptifs ou d’altérer les informations qu’ils reçoivent.

Et ce sens est tellement intriqué avec vos expériences corporelles quotidiennes, que vous ne remarquez même pas son existence.

D’ailleurs, la science elle-même a longtemps été en peine pour étudier ce 6ème sens qu’est la proprioception.

Heureusement, aujourd’hui, de nouvelles technologies permettent d’y voir un peu plus clair. 

Les scientifiques peuvent également s’appuyer sur l’expérience de quelques rares personnes qui n’ont pas de perceptions proprioceptives fonctionnelles.

Grâce à ces informations, nous savons aujourd’hui à quoi sert la proprioception.

Un 6ème sens indispensable et sous-estimé

À votre avis, quel est le point commun entre les actions suivantes ?

  • Tenir debout
  • Garder les yeux fermés et maintenir un membre en position stable (par exemple : tenir votre bras tendu devant vous)
  • Faire les mêmes gestes avec vos deux mains sans contrôle visuel
  • Sentir la quantité de force que vous déployez pour réaliser un geste ou une action

Le point commun entre toutes ces actions est qu’elles sont strictement impossibles à réaliser si vous êtes privé de vos capacités proprioceptives.
Et oui, impossible de tenir debout, de doser sa force et d’effectuer une action sans vérifier visuellement à chaque instant son bon déroulé, sans la proprioception.

Incroyable, n’est-ce pas ?

La proprioception vous permet de ressentir votre corps.

Edith Ribot-Ciscar, chercheuse à l’INSERM d’Aix-en-Provence Université, l’explique de la manière suivante :

« Nos muscles sont équipés de fibres nerveuses qui nous permettent d’effectuer des mouvements et en même temps ils nous renseignent sur la position du membre qui effectue cette action.
Ces fibres mesurent et informent notamment de l’étirement du muscle. »

Et oui, nous possédons des capteurs sensoriels partout dans notre corps. Ils se trouvent majoritairement dans nos muscles mais notre squelette et nos tendons en possèdent également.

Inutile de préciser que sans ce 6ème sens, jouer du piano ou de la guitare est mission impossible.

 

La proprioception dans l'apprentissage de la musique

Quand vos capacités proprioceptives délèguent à vos yeux

Dites-moi.

Quand vous jouez de la musique, quel sens utilisez-vous le plus ? La vue ? La proprioception ?

Lors de ma dernière audition de guitare classique au Conservatoire, la prestation d’un jeune guitariste m’a beaucoup amusé.

En effet, celui-ci avait les yeux collés sur sa partition. Celle-ci était posée sur un pupitre un peu à sa droite.

Pendant que ses yeux suivaient minutieusement chaque note écrite, ses mains bougeaient comme par enchantement.

Il ne les regardaient jamais. Cela donnait un petit peu l’impression qu’il était divisé en deux.

Dans son cas, c’était clair : l’apprentissage était basé sur la proprioception.

Vous vous en doutez, parfois c’est l’inverse. Lorsqu’un musicien garde les yeux collés sur ses mains ou son clavier, il oriente ses gestes grâce à la vue.

La question qui vous vient naturellement est :  « Quelle est la meilleure façon de procéder ? Faut-il privilégier la proprioception ? »

Vous me connaissez, je ne donnerai pas de réponse catégorique. Je suis plutôt partisan de l’approche de la complémentarité.

Selon moi, il est toujours important de renforcer nos points faibles sans négliger nos points forts.

D’une part, cette approche rend le développement de vos compétences plus homogènes.

D’autre part, elle vous permet de vous protéger d’un éventuel accident.

Si vous jouez en public et que la lumière est trop intense sur scène, vous pourriez ne plus voir vos mains et perdre vos repères. 

Ou si le trac perturbe complètement vos sens proprioceptifs, la vue pourrait vous aider à conserver quelques repères.

Vous comprenez l’idée ?

Ceci étant dit, il y a quelques exceptions…

Certains instruments sont plus exigeants que d'autres en matière de proprioception

Et oui !

Certains instruments sont bien plus exigeants que d’autres sur le plan proprioceptif.

Lorsque vous jouez de l’harmonica, vous ne pouvez avoir aucun contrôle visuel.

L’instrument est caché par votre visage.

Vous n’avez que la porte d’entrée proprioceptive pour garder un contrôle sur les déplacements que vous faites.

C’est la même chose quand vous chantez en jouant de la musique.
Dès que vous bougez votre tête, vous risquez de vous éloigner du micro. Le contrôle visuel de vos gestes est donc rendu très compliqué.

La seule façon de pouvoir correctement interpréter vos œuvres sera de développer une solide indépendance et des apprentissages basés sur la proprioception.

Plus vos apprentissages seront intégrés via vos repères proprioceptifs, plus vous pourrez jouer librement avec fluidité.

La proprioception : un sens à développer consciemment chez le musicien

Oui.

Apprendre la musique sans le sens de la proprioception est strictement impossible.

Un peu comme conduire les yeux fermés.

Ceci étant dit, vous pouvez mobiliser votre proprioception à différents degrés.

En effet, dès que vous utilisez la vue pour guider vos mains, vous déchargez votre sens proprioceptif de son travail.

Votre proprioception « sous-traite », en quelque sorte.

Bien sûr, votre ouïe joue également un rôle crucial. Lorsque vous entendez le son que vous produisez, cela vous permet d’ajuster votre manière de l’effectuer. 

Ceci étant dit, nous nous intéressons ici à la manière dont vous utilisez vos sens pendant la réalisation du geste. Vos oreilles vous permettent elles de contrôler le résultat, le « produit fini ». La nuance est claire pour vous ?

Je vous propose donc de faire des tests pour découvrir consciemment quels sont les endroits où vous utilisez la vue et les endroits où vous utilisez la proprioception.

NOTE IMPORTANTE

En faisant les exercices présentés ci-dessous, vos repères vont être chamboulés.

Par conséquent, vous allez moins bien réussir certains gestes qu’à l’accoutumée.
Votre son sortira lui aussi un peu moins bien.

Pas de panique !
C’est tout à fait normal.

Vous allez utiliser votre cerveau d’une autre manière et donc vous allez obtenir d’autres résultats.

Voyez ces exercices comme des tests. Leur but est de vous aider à prendre conscience de comment votre cerveau a intégré et défini ses repères.

En effet, il y a plusieurs manières d’apprendre des gestes musicaux. Chaque apprentissage peut être effectué à différents niveaux de profondeur.

Au final, il existe une infinité de combinaisons possibles dans l’utilisation des différents sens que vous mobilisez pour structurer vos apprentissages.

Être conscient de comment vous avez appris est le tout premier pas.

Grâce à cela, vous pourrez par la suite décider de renforcer l’utilisation de certains sens dans votre apprentissage.

C’est ok pour vous ?

Exercez votre proprioception via des exercices techniques

Pour tester vos repères proprioceptifs, l’idée est d’effectuer différents exercices les yeux fermés.

Si la tentation de les ouvrir pour vous rassurer est trop forte, utilisez un bandeau pour vous aider à respecter la consigne.

En effet, si vous prenez du temps pour vous exercer, autant faire en sorte que votre entraînement soit de qualité, n’est-ce pas ? 

1) Départ en position neutre

Dans cet exercice, il vous suffit de définir un endroit sur votre instrument où vous souhaitez poser vos doigts, de vous placer en position neutre, mains sur les jambes par exemple et de tenter de viser l’endroit défini.

Observez ensuite le résultat et ajustez la prochaine tentative en fonction de votre précédente tendance.

Vous remarquerez sans doute que certains endroits de votre instrument sont mieux connus de vos récepteurs proprioceptifs.

Ces informations peuvent peut-être expliquer des difficultés que vous rencontrez dans la réalisation de certains gestes musicaux.

2) Exercice de déplacement avec départ sur l’instrument 

Cette fois-ci, l’idée est d’intérioriser les différents déplacements possibles sur votre instrument en visant un endroit précis et en partant d’un point précis 

Entrainez-vous tout d’abord à juste vous déplacer. Sans modifier la forme de vos mains. Passez d’une position A à une position B, d’une position B à une position C puis d’une position A à une position C.

Ensuite, vous pouvez
effectuer les mêmes déplacements en ajoutant des mouvements de doigtés. 
En plus de vous déplacer sur l’instrument, vous modifiez la forme de vos mains.

Vous pouvez bien sûr effectuer cette variante (modification de la forme de vos mains) en partant d’une position neutre. 

C’est ok pour vous ?

À présent, voyons comment travailler la proprioception et sa synergie avec l’utilisation de la vue dans des morceaux que vous maîtrisez déjà.

Exercez votre proprioception sur des oeuvres que vous maîtrisez déjà

Si certains morceaux vous posent problème, il peut-être utile de vérifier ce qu’il en est en termes de proprioception.

Parfois, nos repères ne sont pas aussi clairs et précis que nous le supposons. 

Comme d’habitude, le mieux est de tester pour effecter un petit état de lieux qui vous sera fort utile par la suite.

Pour commencer, choisissez une œuvre de musique que vous maîtrisez globalement ou que vous avez déjà commencé à travailler.
Ensuite, effectuez les deux exercices suivants.

1)  Jouez l’oeuvre en question du début à la fin. Essayez de la jouer sans regarder vos mains.

2)  Jouez cette oeuvre sans décrocher vos yeux du clavier ou de vos mains.

Alors, qu’en est-il ?
Qu’est-ce qui a été le plus facile ? Le plus dur ? Est-ce que cela change en fonction des passages joués ?

Analysez votre performance et réalisez les ajustements qui s’imposent. 

L’idée est de découvrir les points d’amélioration prioritaires, ceux qui sont les plus fragiles, et de les renforcer petit à petit.

Proprioception : Conclusion

La proprioception est de facto votre 6ème sens.

J’espère que la lecture de cet article vous aide à y voir plus clair sur comment vous utilisez vos sens dans vos apprentissages et dans votre jeu musical.

J’en profite pour vous rappeler d’être vigilants dans vos nouvelles expériences d’apprentissage.

En effet, utiliser la vue à 100% ou la proprioception à 100%, ou ces deux sens à égalité (50% vue et 50% proprioception) constitue un changement majeur.

En modifiant la manière dont vous utilisez vos sens pour vous aider à réaliser un geste, vous êtes quasiment en posture d’apprentissage d’un nouveau geste.

Comme je l’ai moi-même été lorsque j’ai voulu ajouter un contrôle visuel pendant la réalisation du grand écart artistique dont je vous ai parlé dans l’intro.

Gardez cela en tête !
Ne passez pas du tout au tout, en considérant que tout devrait fonctionner d’emblée.

Cela vous aidera à rester progressif dans votre apprentissage et bienveillant avec vous-même tout au long du processus.

Et vous le savez.
Mieux vous vous sentez dans votre apprentissage, plus ce dernier sera productif. 

Votre bien-être et votre enthousiasme à découvrir comment progresser chaque jour peuvent (doivent ?) former un cercle vertueux durable.

Un socle solide qui maintient votre motivation dans la durée.
D’ailleurs, si vous ressentez une petite baisse de régime, je vous propose de découvrir les 7 tueurs de motivation du musicien et leurs antidotes, en cliquant ici.

Et pour découvrir les fondements de la visualisation multisensorielle, botte secrète des experts toutes disciplines confondues, c’est par ici !

Si vous avez des questions, des remarques, des commentaires, écrivez-les dans l’espace dédié ci-dessous. Je vous répondrai avec plaisir.

Avec confiance et motivation,

Roman Buchta

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  • Jean Phi dit :

    Je viens de tester sur 2 morceaux que je connais, un que je joue depuis + de 20 ans sans difficultés sauf la mémorisation de la grille bien que je commence quand même celle là à bien la connaître et un autre que j’avais bossé y a un ou 2 ans et que je me suis remis dans les doigts ces dernières semaines. Hormis le fait que sur ce second y a un démanché qui me demande de passer de la case 5 corde de la (D) à la case 9 (F#) puis à la case 13 (Bb), sans les yeux, je n’y arrive pas mais pour le reste où y a des écarts de seulement une ou 2 cases je les joue sans difficulté.

    • Roman Buchta dit :

      Merci pour ce retour !
      Effectivement, lorsqu’on enlève le repère visuel, on se rend compte qu’il nous manque des yeux au bout des doigts.
      Autrement dit, c’est que notre capacité à ressentir et spécialiser les mouvements de nos doigts dans l’espace n’est pas encore assez développé pour le mouvement en question

  • Thibaut dit :

    En cas de panne d’électricité, pendant la nuit, c’est très pratique 🙂 on continue à jouer, si on possède ce 6ème sens ;; sauf si on joue sur un instrument électrique 😉 on n’entendra rien.

  • Contact.jefflafontaine@gmail.com dit :

    Pour le saxophone, du début à la fin il y a difficilement un
    contrôle visuel de la position des mains sur l’instrument. Tout se fait a l’intuition

  • Selva Bernard dit :

    Super article, tout à fait d’accord. Personnellement je privilégie la proprioception en évitant de regarder mes mains mais reviens aussi à la vue quand c’est complexe ou sur des écarts importants. Je pratique le piano mais aussi l’harmonica chromatique ( pas de vue possible ) et l’accordéon ( pas de vue possible à la main gauche)
    Pour travailler une position plus difficile, un déplacement plus important j’essaie de conceptualiser dans mon cerveau en imaginant ma main, sa position, son déplacement
    Merci à Romain pour son exposé pertinent et clair comme toujours
    Bernard Selva

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